Société suisse de médecine generale - Séminaire des cadres

Les nouvelles orientations de la politique sanitaire

Bürgenstock, le 27 avril 2001


Mesdames, Messieurs,

 

c'est avec enthousiasme, et il ne s'agit pas de simple rhétorique, que j'ai accepté votre invitation. Depuis que j'ai des responsabilités politiques liées au secteur "sanitaire" je n'ai pu que consolider ce qui n'était, auparavant, qu'une perception, c'est-à-dire le rôle central joué par les généralistes, autrefois appelés médecins de famille. La Suisse, contrairement à la plupart des pays européens, n'a pas encore reconnu à votre professionalité le statut et la responsabilité de "pivot" ou de "gatekeeper" du système sanitaire, conditions à mon avis incontournables pour l'organisation rationnelle d'un système sanitaire à laquelle la Suisse non plus ne pourra échapper.

 

Votre professionnalisé - proche des problèmes quotidiens des individus, de leur vécu et de leurs réalités qui seront ensuite en grande partie somatisés en tant que problèmes et réalités médico sanitaires - vous place dans une situation privilégiée pour faire le lien entre l'environnement économique, social et écologique dans lequel sont plongés les humains et le monde lié au domaine médical et sanitaire.

 

C'est malheureux, mais une proportion très significative de la population vit dans la certitude que le seul déterminant de la santé est la consommation de prestations médico-sanitaires. De plus, auprès de l'opinion publique, prévaut l'idée, erronée, que la médecine est une science exacte. Cela fait même déjà un moment que nous nous sommes habitués à l'idée que c'est la quantité de la consommation et la technologie qui font la santé !

 

Transparent 1: médias

 

Cette vision mythique de l'efficacité de toute prestation médico-sanitaire est entretenue par les médias qui ont toujours diffusé dans la société civile des nouvelles et des informations relatives à la science et à la pratique bio-médicale:

Aujourd'hui, on domine d'autant plus que le dominé en demeure inconscient, mieux encore si le dominé voit son dominateur comme un bienfaiteur, ou même comme son sauveur. Pour dominer, aujourd'hui, il faut séduire les coeurs et les esprits disait Huxley en 1931.

 

Cette pensée unique séduisante qui veut que toute prescription est par définition utile, nécessaire, efficace et adéquate et que l'on ne sera sauvé que par la science et la technologie représente une culture "dévastatrice" quant à la reconnaissance par la population de l'influence réelle de l'environnement éco-socio-économique sur le bien-être et sur la santé des humains et, donc, à la mise en œuvre de politiques fondées sur un développement durable.

 

Transparent 2: les déterminants de la santé

 

Ces dernières années, nombre d'études ont mis en évidence l'effet des déterminants non-sanitaires sur la santé des populations.

La contribution qu'apporte à la santé le seul système sanitaire est généralement mythifiée. En faut, l'apport des soins à la longévité a été évalué à 10-15%, celui du patrimoine génétique à 20-30%, la contribution de l'écosystème représente environ 20%, tandis les facteurs socio-économiques, de loin les plus importants, comptaient pour 40 à 50%.

Et l'on sait que c'est surtout le statut social et économique qui conditionne, fortement, les comportements individuels et les styles de vie.

 

Transparent 3: Titanic

 

C'est exactement ce qui s'est vérifié, le 15 avril 1912, lors du naufrage du Titanic.

 

Transparent 4: survie selon les classes

 

Comme on le voit bien sur la partie gauche du transparent, la mortalité a été particulièrement élevée parmi les passagers de 3ème classe et bien inférieure parmi ceux de Ière classe.

On peut constater le même profil pour la population suisse, sur la droite du transparent: la mortalité est différente selon que l’on appartienne à une classe sociale ou à une autre, les plus favorisés étant à l'évidence ceux qui appartiennent aux classes supérieures. Remarque essentielle: cette variabilité de la mortalité se vérifie alors même que chaque citoyen de notre pays a un accès équitable aux prestations et aux services médico-sanitaires.

 

Transparent 5: la santé dépend du niveau du revenu ?

 

Nous savons - c’est ce que démontrent abondamment les études publiées ces dernières années – que l’inégalité socioéconomique conduit inéluctablement à l’inégalité sanitaire.

Toutefois, comme l’a montré un sondage récent, l’opinion publique et la société civile en général n’admettent qu’avec réticence l’influence qu’exerce le statut socio-économique sur l’état de santé, tandis qu’au contraire …

 

 Transparent 6: la santé dépend de l’état de l’environnement ?

 

la population n'a aucune peine à reconnaître que l’écosystème peut avoir un impact important sur la santé.

 

Transparent 7: problèmes de santé et classe sociale au Tessin

 

Ceci est très préoccupant !

 

En effet, les différences socioculturelles entre les classes sociales se retrouvent tant au niveau de la santé, que de l’espérance de vie ou de la mortalité, que ce soit au Tessin...

 

Transparent 8: Durée de vie à Genève et classe socioprofessionnelle

ou à Genève.

 

Malheureusement, il n’est pas aisé d’apporter des solutions immédiates, surtout aux problèmes individuels. Nous le savons tous: il n’est pas très facile de modifier les conditions sociales et économiques d’un individu, encore moins celles d'un pays.

C’est pourquoi il devient toujours plus important que la société civile reçoive une information correcte et suffisante sur les conséquences que les différentes décisions politiques peuvent avoir sur les conditions de santé des individus.

 

Transparent 9: pour une politique publique intersectorielle

 

C’est justement parce que la santé de la population dépend de façon importante des choix politiques effectués dans des secteurs autres que celui de la politique sanitaire qu’il est indispensable de promouvoir une politique intersectorielle attentive aux répercussions sur le bien-être des gens.

Une bonne santé dépend en effet d’un bon niveau d’éducation, d’une situation professionnelle relativement tranquille - sans la peur constante de perdre son travail – et aussi d’une bonne intégration sociale.

Les personnes jouissent d’une bonne santé quand elles sont en mesure de faire des projets pour leur avenir, sans être ou se sentir complètement à la merci de facteurs sur lesquels elles n’ont aucun contrôle.

En ce sens les politiques économiques, de l’éducation, de l’emploi, de la socialité, de l’environnement, des transports et de l’urbanisme sont plus importantes pour la santé publique que la politique sanitaire "stricto sensu".

 

Transparent 10: l’impact du ministre de la santé

 

Une étroite collaboration entre les divers secteurs de la politique publique est ainsi un impératif et une nécessité pour toute politique qui vise à la promotion de santé.

Tous les jours, dans les pays industrialisés, les décisions du ministre des finances ont probablement, sur la santé des populations, un impact supérieur aux mesures prises par le ministre de la santé.

Le problème, c’est qu’aucun des deux ministres ne veut l’admettre et que la population ne croit pas du tout que cela soit possible.

Pour ma part j’en suis profondément et de plus en plus convaincue.

 

Transparent 11: "New Economy"

 

Aujourd'hui les mots d'ordre du nouvel ordre économique sont à la déréglementation, à la privatisation, à la baisse des impôts, à la globalisation par le libre échange.

Ces nouveaux paradigmes ne constituent pas en eux-mêmes des objectifs nécessairement négatifs; le problème est de savoir et de décider jusqu'à quels niveaux d'application ces objectifs de politique économique constituent un progrès commun et représentent des facteurs de développement positif pour l'ensemble de la société.

 

Transparent 12: Equité sociale

 

Nous constatons toutefois que les risques, en partie déjà bien réels, de l'application dogmatique de ces paradigmes conduiront à une augmentation des différences entre les revenus et à un élargissement du nombre de ceux qui vivent à la limite du minimum vital, à l'accroissement de la précarisation du travail, au risque d'augmentation du chômage notamment partiel et à une atteinte à la protection sociale et a ses "amortisseurs" sociaux.

 

Transparent 13: Travail

 

Quel lien avec la santé? Je prends, pour exemple, le travail, qui est probablement le principal facteur d'intégration sociale et de cohésion entre l'individu et la société.

 

Transparent 14: Conditions

 

Travail oui, pour tout le monde, mais à quelles conditions?

Toute le monde partagera l'opinion qu'un travail devrait être raisonnablement stable, équitablement rétribué, discrètement intéressant et accompli à des conditions respectant le droit de la personne quant à la sécurité, à la salubrité et à la dignité.

 

Transparent 15: Job insecurity (Switzerland)

 

Une étude suisse récente a montré qu'environ 10% des travailleurs (environ 400'000 personnes) étaient fortement marqués par la peur de perdre leur place de travail.

Quelles conséquences cela aura-t-il pour la santé?

 

Transparent 16: health indicators (low/high fear)

 

Ce transparent compare, sur la base de quelques indicateurs sanitaires, les travailleurs n'ayant pas peur de perdre leur place de travail (histogrammes jaunes) avec ceux ayant au contraire un degré élevé de peur (histogrammes verts).

On voit que, pour tous les indicateurs, la proportion de personnes qu'ont peur et manifestent des conditions sanitaires plus mauvaises est bien plus importante.

Un exemple, celui de l'insomnie régulière 60% de cas en plus chez ceux qui vivent avec une forte peur de perdre leur place de travail: consommation journalière de tranquillisants + 110%; dorsalgies régulières + 100%. Curieusement ceux qui ont un niveau élevé de peur de perdre leur travail semblent moins consulter leur médecin.

L'on peut décèler la raison de cette différence en regardant les deux derniers histogrammes du transparent. Ceux qui ont peur ont renoncé en masse à consulter ou à se soigner pour ne pas s'absenter de leur place de travail.

 

Transparent 17: mesurer l'impact sur la santé

 

Cet exemple, qui en est un parmi d'autres, montre la nécessité de connaître et de mesurer l'impact potentiel et réel des politiques non sanitaires (économiques, de l'emploi, de l'environnement, de l'éducation, des transports, etc.) sur la santé et surtout souligne…

 

Transparent 18: Conspiracy of silence

 

l'importance de ne pas cacher, mais de diffuser le plus possible, les résultats des études qui mettent en évidence le rôle des vrais déterminants socioéconomiques de la santé, afin que la société civile puisse peu à peu en prendre conscience.

 

Transparent 19: major determinants of health

 

Même la presse médicale de qualité, ici le British Medical Journal, reconnaît que le paradigme lié au modèle biomédical de l'étiologie des maladies a empêché de poser les vrais priorités de santé publique et qu'aujourd'hui il n'y a pas de doutes sur le fait que les plus importants déterminants de la santé sont, et ont toujours été, liés à l'environnement socio-économique.

 

Transparent 20: Factors outside ...

 

Aujourd'hui, les programmes "classiques" d'éducation sanitaire, qui visent à encourager le changement de comportements et de styles de vie, oublient généralement que des facteurs indépendants du contrôle individuel (et donc liés au contexte socio-économique, environnemental et légal) sont en réalité ceux qui influencent les comportements et les styles de vie et donc, les conditions psychophysiques des individus.

 

Transparent 21: This could lead

 

Le fait de ne pas prendre en compte les déterminants socio-économiques et environnementaux dans la réalisation de programmes d'éducation sanitaire peut avoir pour conséquence, au mieux, de proposer des interventions totalement inefficaces et, au pire, de culpabiliser les individus en les tenant comme seuls responsables d'événements qui en réalité échappent à leur contrôle.

 

Transparent 22: une nouvelle approche (HIA)

 

L'année dernière, le Gouvernement tessinois a formellement établi que "toute nouvelle loi ou toute décision politique importante devra être accompagnée d'un rapport d'impact sur la santé publique".

Cette décision répond à notre préoccupation de considérer différemment la politique sanitaire et de l'orienter non seulement vers la réparation des atteintes à la santé, mais aussi vers la promotion de la santé et son maintien.

 

Transparent 23: prescription médicale 1

 

Le médecin ne peut certes prescrire à ses patients un travail moins précaire, un logement plus confortable, la consommation de produits alimentaires de meilleure qualité, un trafic moins bruyant. Sans nul doute, ce seraient là, pour nombre de citoyens, les ordonnances les plus efficaces pour améliorer l'état de santé.

Malheureusement, la LAMal ne rembourse que 

 

Transparent 24: prescription médicale 2

 

… tranquillisants, antidépressifs et d'autres prestations sanitaires, qui ne servent pas toujours à maintenir ou rétablir un état de santé harmonieux.

 

Transparent 25: Déprogrammer la société

 

Du point de vue social, une action culturelle semble donc nécessaire afin de ramener les attentes au niveau des réalités par une œuvre de "déprogrammation" de la société civile.

 

Transparent 26: Ramener les attentes 1

 

J'aimerais quand même conclure sur une note "optimiste", et reprendre ce que le docteur Richard Smith, éditeur du "British Medical Journal", propose afin de ramener à la réalité les attentes de la population envers les soins.

Smith soutient que le plus urgent et le plus utile aujourd'hui c'est d'agir sur les attentes, désormais mythiques, des gens par rapport à l'efficacité "à 360 degrés" de la médecine, en disant finalement à l'opinion publique que:

Transparent 27: Ramener les attentes  (2)

Un changement de culture apparaît donc, aujourd'hui plus que jamais, urgent et indispensable: toutefois, afin que les messages soient crédibles auprès de l'opinion publique, ils doivent être fondés sur la "rationalité" sanitaire et non pas sur la "rationalité" économique ou politique. Et là réside probablement le véritable problème.

Je vous remercie de votre attention.

 

 

                                                                                                                                                Patrizia Pesenti
                                                                                                                                                Consigliere di Stato